Par Valérie Guillevic, Pierre Fleury, Nicolas Coutel et Me Jean-Philippe Chenard
La commercialisation d’un réseau de franchise ou de commerce organisé indépendant répond à une dynamique stratégique et engageante pour tout chef d’entreprise qui conçoit le concept qu’il a développé comme source de réussite et de positionnement différenciant sur son marché. Souvent il aura élaboré la recette avec deux voire plusieurs pilotes sur des zones de chalandise qui ne seront pas toute réitérables. Une fois définis la duplication et le cadre du recrutement se pose rapidement la question des zones de chalandise, faut-il en prévoir ? Comment les qualifier et comment les définir ?
Evidemment depuis quelques mois la COVID 19 s’est invitée, laissant pressentir de fortes mutations tant en matière de consommation des ménages que de transformation des zones d’attraction économique.
Que vous soyez un réseau en cours de déploiement ou un réseau déjà bien installé nous vous proposons un tour d’horizon en 10 recommandations qu’il est important d’avoir en tête afin de consolider votre lancement !
1/ N’attendez pas les embouteillages pour écrire le code de la route
En phase de lancement, la tentation est grande de concentrer toute son énergie au recrutement des premiers franchisés pour sécuriser son chiffre d’affaires de tête de réseau, et de se dire « On verra bien quand le cas se présentera…On pourra toujours négocier… ». Ainsi souvent les zones d’exclusivité font partie intégrante de la négociation avec des critères adaptables au gré des situations. Pourtant, il est judicieux de ne pas attendre pour définir le code de la route de votre réseau, en l’occurrence les règles servant de base à la définition des secteurs et des exclusivités territoriales les protégeant.
Ce travail prend du temps et le réaliser seul ne permet pas toujours l’objectivité nécessaire à un bon équilibre de déploiement de l’enseigne. Il est ainsi plus sérieux et recommandé de le faire avec l’aide d’un conseil spécialisé. En effet, rien n’est plus fâcheux et décourageant que de vous retrouver dans une situation où vous auriez recruté vos premiers 10 / 15 premiers affiliés en leur ayant octroyé des secteurs trop larges, rendant les emplacements restants moins attractifs eu égard au prix que vous avez défini dans votre modèle, ou vous obligeant à devoir négocier pour revenir sur des exclusivités déjà accordées…
Le maillage est l’un des paramètres le plus structurants de votre réseau. Ce n’est pas un sujet que l’on gère de manière empirique, mais qui doit être pensé en amont et dont le contrat est là pour garantir le respect et le bon management du réseau.
2/ Corrélez le « prix » d’un secteur à son vrai potentiel de chiffre d’affaire
La zone d’exclusivité quand elle existe est contractuellement définie, ainsi deux cas de figure se présentent :
- Soit vous prenez le parti d’asseoir votre maillage sur un partage équitable de potentiel de chiffre d’affaires, et vous recherchez le candidat intéressé pour acheter chaque portion, sans trop de discussion possible ;
- Soit vous optez pour un découpage plus empirique en fonction du candidat qui se présente, et vous ouvrez la porte aux négociations, le tout étant de « signer le candidat », mais au risque d’avoir un maillage assez hétérogène.
Or la réalité se situe parfois entre ces deux positions. C’est en ayant défini en amont une doctrine vous permettant de cadrer votre maillage autant que possible (par exemple un département administratif, une zone de chalandise exprimée en nombre de foyers ou d’entreprises présentant un potentiel de CA donné, avec un montant de redevance forfaitaire ou adaptée en face) que vous ne tomberez pas dans l’écueil classique de trop bien servir les premiers arrivés. Vous limiterez par ailleurs les risques d’iniquités de traitement, qu’il vous faudra de toute façon gérer. Vous le ferez par le truchement d’autres clauses contractuelles (voir infra) ou en intelligence de situation sachant que tout ne peut pas être anticipé et que le risque zéro n’existe pas dans la franchise.
3/ Ne prenez pas vos zones pilotes au pied de la lettre
Un franchiseur qui duplique son concept imagine souvent reprendre la structure et les éléments (indices liés à la catégorie socioprofessionnelle, zone de trafic, adaptabilité du concept à la zone…) composant la zone territoriale ayant conduit à la réussite de son ou ses sites pilotes.
Si cette expérience est « modélisante », en pratique le territoire exploité ne l’est pas toujours ! En effet, les premiers points de vente servent avant tout à préciser les caractéristiques du concept nécessaires avant d’affiner le maillage du territoire. Celui-ci intervient bien en second temps et l’on raisonne alors plutôt en « zone minimum » à octroyer, répondant à tous les critères ayant permis la validation de l’expérience du pilote et pouvant assurer les futurs franchisés de développer son point de vente avec plus de facilité. Mais « toute chose égale par ailleurs », les zones de chalandises génèrent des biais et des variations de performance. Voilà pourquoi tester sur plusieurs zones différentes aidera à mieux apprécier l’universalité du concept et de dégager des moyennes, elles-mêmes encore relatives.
La solution peut résider dans l’élaboration de différents modèles au sein même d’un seul réseau, ainsi nous verrons apparaitre des modèles shop, médian ou premium qui devront mettre en valeur les différentes balises économiques et permettre une rentabilité de chaque modèle.
La covid 19 conduit a de réelles interrogations quant à la viabilité d’installation notamment dans les centres commerciaux fermés. Le consommateur est-il aussi spontanée qu’avant pour consommer dans un espace à forte influence, même si l’atout de la concentration d’offres sur un même lieu était auparavant un atout.
Les petits centres commerciaux de périphérie, le développement de quartiers avec des offres commerciales de proximité développant des horaires adaptés et des formules de clic & collect, ne vont-ils pas redessiner les critères préalablement établis ?
4/ Ne confondez pas Etat local et Etude de marché
La Loi Doubin impose que le franchiseur fournisse dans le Document d’Information Précontractuelle (DIP) « une présentation de l’état général et local du marché des produits ou services devant faire l’objet du contrat et des perspectives de développement de ce marché » (Articles L.330-3 et R.330-1 du Code de commerce).
Concrètement, cela revient à fournir une présentation générale du secteur d’activité objet de la franchise et un état local sur la zone géographique concédée, comme par exemple l’état de la concurrence présente sur ce marché local. Mais l’état local reste de toute façon factuel et synthétique.
Ce qui ne correspond pas à une étude de marché d’implantation. Celle-ci est au contraire réalisée avec plus de précision et de manière personnalisée. Le cœur de cette étude part de l’adresse du futur point de vente et prend en compte un spectre plus large d’hypothèses, comme par exemple anticiper et calculer l’impact de l’arrivée d’un nouveau concurrent sur la zone considérée. Ce que n’offrira jamais un état local de marché, qui se contente d’une photographie à un instant T.
L’évolution des modes de consommation adaptée à un réseau sera de la compétence du franchiseur, l’étude de marché utilisera les données générales pour en faire ressortier un spectre le plus près possible de la réalité.
L’étude de marché est un pas autrement plus engageant et symptomatique de l’indépendance qui caractérise le franchisé. Voilà pourquoi celui-ci l’établira à ses frais : c’est SON étude de marché, devant servir de fondement à l’établissement du prévisionnel d’activité nécessaire à l’établissement de SON business plan dans le cadre de SES démarches de demande de financement. Ce travail essentiel est une première étape de prise de contact avec la mission de développement qui lui incombe.
5/ L’exclusivité territoriale ne fait pas tout
Ne voyez jamais l’exclusivité territoriale comme une garantie absolue.
Tout d’abord, elle ne figure pas au rang des éléments essentiels à votre contrat de franchise.
Ensuite, il existe parfois des alternatives plus souples comme l’établissement d’une zone de préférence, donnant par exemple obligation d’exploiter une zone prioritairement en réservant la possibilité de prospecter à l’extérieur du territoire. Sachant que parfois ces deux typologies peuvent se cumuler.
En outre, une exclusivité territoriale ne prémunit pas de tout : le franchiseur ne peut en effet interdire les cas dits de « concurrence passive », où le franchisé conserve une faculté de servir des clients non sollicités mais venus spontanément requérir ses produits ou services.
Enfin, le franchiseur peur faire coexister, sur une zone donnée, plusieurs réseaux arborant une enseigne différente si la clause d’exclusivité est spécifiquement circonscrite à l’enseigne. De son côté, le franchisé peut ouvrir des points de ventes secondaires sur son territoire si le franchiseur accepte ou si cela a été expressément prévu au contrat.
6/ L’autonomie n’exclut pas l’assistance
Le franchisé est un commerçant indépendant à qui il incombe de traduire en revenu commercial futur, le potentiel économique du territoire qu’il exploitera. Si l’autonomie du franchisé est un principe garantissant le bon fonctionnement du réseau, celui-ci est encore, en début de parcours, dans une « incompétence inconsciente » et il a besoin d’éclairages multiples pour démarrer. Au-delà de la formation initiale ou de l’assistance au lancement, le franchiseur gagnera à aider le franchisé dans l’établissement de son étude de marché en l’orientant vers un bureau d’étude, et en lui indiquant quels éléments il convient de rechercher en priorité dans la logique du concept.
L’étude du marché permettra au franchisé de valider la viabilité de son projet, et de savoir si sa future zone remplit les minima attendus pour reproduire la réussite du franchiseur. L’étude de marché est aussi primordiale, rappelons-le, dans le montage du business plan nécessaire à l’obtention des demandes de financement bancaire. Dans le cadre de la présentation de son dossier de financement, le choix de l’emplacement et de la zone de chalandise seront analysés au même titre que les garanties demandées au porteur de projet.
7/ Sachez tirer parti des technologies
Le potentiel d’une zone s’apprécie notamment par le flux piétonnier passant devant le point de vente. Cela implique un dispositif de comptage extrêmement précis et rigoureux. Or aujourd’hui, les bureaux d’études font appel à des outils de géolocalisation à même de procéder à ces comptages. Ils établissent plus précisément l’aspect qualitatif de la population passant devant le point de vente, en raison des données mobiles utilisées par les techniques de géolocalisation.
Si ce mode de comptage est plus précis que des techniques traditionnelles (physiques ou manuelles), il ne garantit pas pour autant que la cible sera effectivement atteinte. Tout comme une campagne promotionnelle sur le web, si bien ficelée soit-elle, ne saurait en soi garantir un taux d’achat final.
8/ Attendez-vous à des modifications territoriales compliquées
Une fois le réseau établi, il est plus compliqué de changer les choses. On peut certes se rassurer en se disant que c’est aussi par l’usage et l’expérience que l’on peut juger de la pertinence d’un découpage, lorsque les unités se seront multipliées et que les problématiques de voisinage se poseront.
Mais faire évoluer la zone d’exclusivité en cours de contrat, nécessite évidemment l’accord des deux parties. Or, si votre franchisé refuse la modification de zone proposée, vous devrez attendre le renouvellement ou l’arrivée à son terme du contrat de franchise. Sans oublier la « perte de chance » liée à la déception d’un candidat que vous n’aurez pas pu accueillir…
Nous ne disons pas que tout se joue avant le lancement et qu’après, rien ne saurait bouger… La vie d’un réseau n’évacue jamais l’empirisme et le besoin d’adaptation. Mais, encore une fois, le fait d’avoir dès le départ des convictions fortes dans votre zonage étaye le consentement de votre affilié et évite d’ajouter de la frustration à une situation déjà inconfortable par nature. Et à l’échelle d’un réseau, les modifications de tracer peuvent vite devenir un casse-tête, alimenter la désorganisation et susciter un climat de défiance vis-à-vis du franchiseur, qui s’en passerait bien !
9/ Anticipez les problématiques de voisinage dès le contrat
La pertinence du maillage est une chose, mais votre contrat doit aussi être pensé comme un règlement intérieur, notamment sur les aspects commerciaux.
Il en va tout d’abord du traitement des demandes entrantes : un client résidant hors de la zone de chalandise d’un franchisé donné, mais venant acheter dans son point de vente. Son franchisé de résidence ne doit pouvoir adresser de réclamation, règle qu’il convient de rappeler dans le contrat.
Il en va ensuite des limites à l’exclusivité posée. Ici, le voisinage n’est pas géographique mais d’enseigne, dans un secteur donné. Pensez à restreindre l’exclusivité territoriale à une enseigne donnée, en vous réservant la possibilité d’en ouvrir une ou plusieurs autres, non directement concurrentes, dans ce même secteur.
10/ Ne négligez surtout pas votre « cyber-maillage »
La digitalisation faisant, le e-commerce vient relativiser les exclusivités conçues pour le mode physique. Il est alors utile d’organiser le traitement des opportunités commerciales générées et qualifiées directement par le site web de l’enseigne, celui-ci étant géré par la tête de réseau.
Et il n’y a pas de bonnes ou mauvaises règles en la matière, tant que les choses sont clarifiées dans le contrat et que le franchisé sait bien à quoi il s’engage :
- Si un client résidant dans ma zone vient acheter sur ce site, est-ce que je peux prétendre à la pérennité de ce chiffre d’affaires ?
- Est-ce que ce même client devient de fait la propriété du franchiseur ?
- Ou alors est-ce que le franchiseur est tenu de me reverser une compensation / un apport d’affaire symbolique ?
- Etc.
COVID ou pas, cette problématique devient criante, et elle fait l’objet d’une jurisprudence abondante qui se révèlera de toute façon au fur et à mesure de l’exploitation.
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